vendredi 5 septembre 2008

Des étudiants de plus en plus engagés… dans leurs études


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02 septembre 2008

Le militantisme n’a plus la cote

Étudiant engagé
Les exigences de la vie universitaire sont plus élevées que jamais et les étudiants… étudient très fort. Conséquemment, le militantisme est en baisse.

«J’aurais pu gagner 150 000 $ par an dans une entreprise privée, mais j’ai choisi de retourner aux études», déclare en entrevue un informaticien aujourd’hui inscrit dans un programme de médecine. Pourquoi ce changement de cap? Essentiellement pour apporter quelque chose à la société et pour suivre un parcours professionnel qui correspond mieux à sa personnalité.

Ce témoignage provient d’une entrevue menée par une équipe de recherche formée de Jacques Hamel, professeur au Département de sociologie, et deux de ses étudiants à la maitrise, Gabriel Doré et Christian Méthot. Depuis deux ans, ces chercheurs sondent les étudiants afin de mieux cerner leurs valeurs en fonction de leurs rapports aux études. «Nous ne cherchons pas à connaitre leurs valeurs politiques – s’ils sont de droite ou de gauche, souverainistes ou fédéralistes – ou spirituelles, mais plutôt à savoir ce qui les pousse à s’inscrire dans des programmes d’études universitaires et à y persévérer.»

À en croire les médias, les étudiants d’aujourd’hui sont individualistes, enfants gâtés. Selon Jacques Hamel, il s’agit là d’«images galvaudées». Dans les faits, ils sont plutôt adeptes de la simplicité volontaire, sérieux et autonomes, ce qui ne les empêche pas de choisir des parcours professionnels qui s’accordent à leur véritable nature.

Comme les trois chercheurs l’écrivent dans la «Brève sociographie des valeurs des étudiants», un des articles tirés de cette enquête financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, «être autonome signifie pour nos étudiants détenir des “compétences de travail” afin d’exercer à leur guise la profession visée par leur programme d’études et “se réaliser” en ayant les coudées franches».

Désaffection militante

Un constat s’est dégagé très nettement du sondage: les étudiants… étudient. S’ils ressentent un fort esprit de corps à l’intérieur de leur discipline, ils passent de moins en moins de temps sur les lieux mêmes de leurs études. S’ils en ont la possibilité, ils communiqueront entre eux ou avec les professeurs par Internet et éviteront de venir sur place.

Conséquemment, le militantisme étudiant est en baisse. «Pour s’engager dans le mouvement étudiant, il faut des lieux de rencontre et d’échange, commente Jacques Hamel. Si les étudiants quittent le campus aussitôt leurs cours terminés, ils peuvent difficilement militer en faveur de causes communes.»

«Quand on les interroge sur la fierté qu’ils ressentent à l’égard de leur université, ils répondent que cet aspect ne les intéresse pas, mentionne Gabriel Doré. Fréquenter l’Université de Montréal, l’Université de Sherbrooke ou l’Université Laval ne compte pas beaucoup dans la balance. L’important, c’est d’étudier en médecine, en travail social ou en sociologie. Cette indifférence nous a étonnés.»

Cela dit, les chercheurs ont constaté que les apprentis médecins étaient intéressés par leur approche. Ceux-ci ont été nombreux à répondre au sondage et à accepter de les rencontrer pour parler de leurs valeurs. «Cet intérêt est-il une conséquence de la féminisation de la médecine?» se demande Jacques Hamel. Il n’ose pas répondre, mais il signale que les femmes ont tendance à se consacrer à leurs études de façon plus sérieuse que les hommes.

Les valeurs étudiantes semblent teintées par la présence accrue des femmes dans les universités. Correspondant, grosso modo, à la répartition des sexes dans l’ensemble du réseau, les répondants au sondage étaient largement des répondantes: 91 % en éducation spécialisée, 86 % en soins infirmiers, 72 % en sociologie, 89 % en service social et 71 % en médecine.

Êtes-vous expressif ou instrumental?

Hamel-Méthot-Doré
De gauche à droite, Jacques Hamel, Christian Méthot et Gabriel Doré.

Au cours de l’année 2007, quelque 6000 personnes ont été invitées, par lettre, à participer à l’enquête. L’échantillon regroupait les étudiants en médecine des trois universités de langue française du Québec, ainsi que des étudiants en sociologie et en travail social. On a ajouté à ce nombre les élèves du collégial inscrits dans des programmes généraux (sciences de la santé, sciences sociales) et techniques (soins infirmiers, enseignement spécialisé).

Pourquoi pareil échantillon? Parce qu’on voulait opposer un programme essentiellement professionnel (médecine) à un programme qui ouvre la porte à une multitude d’occupations (sociologie). En d’autres termes, quand on étudie en médecine, c’est pour devenir médecin; quand on étudie en sociologie, ce n’est pas nécessairement pour devenir sociologue...

Entre les deux, le parcours des étudiants en travail social peut mener à l’exercice d’une profession reconnue par un ordre, mais ils sont nombreux à bifurquer vers d’autres métiers après avoir obtenu leur diplôme. Quant aux élèves du collégial, ils représentent «l’entrée dans le métier d’étudiant», capables d’exprimer ce qu’ils attendent de leurs études.

Les sondeurs ont reçu 1717 réponses. Ils effectuent, de plus, 120 entrevues individuelles semi-dirigées qui leur permettront d’approfondir les valeurs associées aux études. «En nous basant sur des recherches précédentes, entreprises notamment en France par le sociologue Mathias Millet, nous cherchons à savoir si les étudiants sont plus “expressifs” ou “instrumentaux”, termes faisant référence à deux attitudes opposées. Pour les expressifs, les études équivalent à un enrichissement personnel qui ne vise pas directement un but d’insertion professionnelle. Les instrumentaux, eux, considèrent que les études doivent être utiles. Ils veulent un résultat», résume Jacques Hamel.

La frontière entre ces deux attitudes n’est pas toujours très nette. Au cours de leurs entrevues, les chercheurs ont constaté que l’expressivité caractérisait les parcours non linéaires, d’ailleurs très fréquents. «On voit beaucoup de pharmaciens ou de biochimistes se diriger vers des études de médecine, par exemple, au moment où ils pourraient entrer sur le marché du travail, relate Christian Méthot. Quand on les rencontre, ils sont beaucoup plus expressifs qu’instrumentaux quant à la profession à laquelle ils se destinent. Mais, dans l’ensemble, les futurs médecins sont plutôt instrumentaux vis-à-vis de leurs études.»

Mathieu-Robert Sauvé

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