Boomers, X, Y... la cohabitation des générations cause parfois des tensions au travail. Pour combler ce fossé, certaines entreprises offrent des formations à leurs employés.
« Les baby-boomers voulaient prouver à l’entreprise qu’ils méritaient de progresser. Notre génération se dit plutôt : si celle-ci est assez intelligente, elle s’apercevra qu’elle a une bonne ressource et elle la développera. Si ça ne se produit pas, nous pouvons toujours aller voir ailleurs », lance Jimmy Larouche, jeune chef d’équipe chez Desjardins Sécurité financière.
Des propos discordants aux oreilles de sa supérieure. Au service de Desjardins depuis 25 ans, Émilia Lemme affiche, quant à elle, un fort sentiment d’appartenance à son organisation. Troublée par l’attitude de ses jeunes recrues, elle demande au service des ressources humaines de la formation sur les différences entre générations.
La session s’est avérée bénéfique, surtout pour la dynamique de travail de l’unité. " Je ne comprenais pas les comportements que j’observais, en particulier au chapitre de l’appartenance à l’entreprise, admet cette directrice. La formation a donné des résultats tangibles. Nous avons compris que nous devions tous faire un pas pour bien nous entendre. Et j’ai l’impression de recevoir un peu plus de mon équipe ", explique-t-elle.
Desjardins Sécurité financière n’est pas la seule entreprise à offrir des formations sur les différences générationnelles. Ce type de conférences se donne depuis environ trois ans. " Les gens veulent que nous en organisions parce qu’ils sont tout à fait déboussolés par l’arrivée de la génération Y (les jeunes dans la vingtaine) sur le marché du travail ", explique Luc Bélanger-Martin, chargé de formation en management à HEC Montréal.
Des facteurs de motivation différents
Ces formations consistent à dresser un portrait des différentes générations et à définir leurs facteurs de motivation. " Les jeunes n’ont pas la même attitude face au travail, souligne Laurent Simon, professeur de management à HEC Montréal. Ils veulent que nous justifiions davantage ce que nous leur demandons. Et lorsqu’ils ont l’impression de ne rien apprendre, ils en avisent rapidement leur employeur.
" L’entrée de la génération X sur le marché du travail (les 30 à 45 ans) s’est déroulée autrement. Les taux de chômage élevés de l’époque modéraient les revendications des nouveaux arrivants. Depuis, les conditions du marché du travail ont évolué, et l’avantage se trouve dorénavant du côté des employés.
Les sessions peuvent prendre la forme d’une conférence traditionnelle ou encore de séminaires plus interactifs. " Dans ce dernier cas, note le professeur Simon, nous pouvons recourir à des exercices pour faire ressortir les différences, en évitant toutefois de créer un climat d’affrontement. Nous demandons par exemple aux participants ce qu’ils admirent chez les autres générations, puis nous les interrogeons sur ce qui les dérange. Nous cherchons aussi à formuler une devise qui représente bien chaque groupe d’âge. "
Il y a un an, le bureau montréalais d’Ogilvy Renault choisit d’organiser une telle formation. La présentation s’adresse aux cadres : avocats du comité de direction et chefs des groupes de pratique. Tout comme Émilia Lemme, de Desjardins, nombre de ces avocats seniors se montrent désemparés. " Nous entendons parfois des avocats expérimentés soupirer : il y a 30 ans, si vous receviez une offre d’Ogilvy Renault, vous ne vous posiez pas de questions, vous acceptiez et vous entamiez une longue carrière dans ce cabinet ", confie Me Stephen Kelly, associé en droit des affaires chez Ogilvy Renault.
C’était hier. Aujourd’hui, rares sont les jeunes avocats qui acceptent une offre sans se questionner. Et la concurrence est féroce entre les cabinets pour attirer les meilleures recrues. Même les bureaux prestigieux doivent s’interroger sur leur pouvoir d’attraction, et surtout de rétention, auprès des jeunes avocats.
Me Stephen Kelly a participé à la formation. Il connaît bien les jeunes qui débutent dans la profession, car il est responsable du comité des étudiants et des stagiaires au bureau de Montréal. " En entrevue, ils posent beaucoup de questions. Ils s’informent de l’environnement de travail. Ils veulent savoir comment se forment les équipes pour le traitement d’un dossier et quelle est l’interaction entre les avocats seniors et les avocats juniors. "
Les cabinets d’avocats, tout comme les grandes entreprises, investissent beau coup dans leurs jeunes recrues. Et ils espèrent les garder longtemps. Mais... " Nous opérons dans un contexte de mondialisation et cela a un impact sur les ressources humaines. Les jeunes ont des choix qu’ils n’avaient pas avant ", fait remarquer Me Stephen Kelly. À son avis, il est rare qu’un jeune avocat parte pour aller chez un concurrent. En revanche, beaucoup décident de travailler quelques années à l’étranger ou de s’inscrire à une formation universitaire, comme un MBA. Le cabinet n’offre pas de garantie d’emploi au retour d’une telle expérience. Mais les associés ont appris à garder un bon contact avec ces personnes, dont quelques-unes réintègrent ensuite le cabinet.
Adversaires ou complémentaires ?
La rétention du personnel est un des défis liés aux différences générationnelles. Mais ces dernières se vivent aussi au quotidien. " J’essaie de trouver la complémentarité chez les membres de mon équipe. Chaque génération a ses forces. C’est en les arrimant que nous obtenons une équipe plus solide ", affirme Yannick Giroux, directeur de succursale à la Banque de développement du Canada (BDC).
Les Y aiment que les réponses arrivent rapidement, ils sont orientés vers l’action. Les boomers, eux, fonctionnent plus par consensus, ajoute-t-il. Ce gestionnaire de 35 ans dit qu’en utilisant les forces de chacun, il obtient une meilleure performance de son équipe. Sa succursale, située dans la banlieue nord de Montréal, a une certaine autonomie pour ses campagnes de marketing. L’objectif est d’effectuer le plus d’interventions possibles auprès des PME du secteur.
" Lorsque nous discutons du plan marketing, les jeunes employés diront : "Pas besoin de grands plans, nous pouvons faire du télémarketing, des envois postaux, des visites dans les parcs industriels"... Les boomers, eux, diront plutôt : "Oui, mais combien cela va-t-il coûter ?" " illustre Yannick Giroux. Les employés de cette succursale ont suivi une formation sur les différences générationnelles en compagnie de collègues d’autressuccursales de la région. " Maintenant, lors denosdiscussions, les gens sourient quand une attitude liée à la différence générationnelle surgit et que tout le monde autour de la table l’a repérée... ", raconte ce gestionnaire.
En fait, Yannick Giroux a suivi deux formations sur ce thème : celle que reçoivent tous les employés de son secteur géographique, à l’initiative d’un vice-président régional, et celle qui est comprise dans le programme " Leaders en transition " de la BDC. Celui-ci s’adresse aux gestionnaires de l’institution qui débutent dans leur poste, et à d’autres employés qui ont le potentiel de devenir gestionnaires.
" J’ai beaucoup appris sur les caractéristiques de chaque groupe. Par exemple, que les Y valorisent l’équipe, que les X accordent leur fidélité au gestionnaire, alors que les boomers sont plutôt fidèles à l’organisation. Mais la prudence est de mise. Le but n’est pas de gérer en suivant une recette ", précise Yannick Giroux.
Il pourrait s’ensuivre une trop grande stigmatisation de chaque génération. " Ces caractéristiques restent des généralisations, et gérer en fonction de ces critères peut devenir limitatif ", rappelle Me Stephen Kelly, d’Ogilvy Renault. D’autant plus qu’il n’y a pas que des différences entre les générations. Il existe aussi des points communs. " Les mêmes facteurs de mobilisation sont valables pour tous les employés, dit Suzanne Gagnon, directrice de la consultation à la firme DDI. Mais il faut savoir nuancer, tout le monde n’a pas besoin de ces ingrédients dans les mêmes doses. "
Soigner les relations inter-générationnelles reste un enjeu qui dépasse la gestion des ressources humaines. L’entente entre les générations a aussi un impact sur la performance à long terme de l’entreprise. Le meilleur exemple est le dossier du transfert des connaissances, souvent cité comme l’enjeu crucial de la prochaine décennie. Chez Hydro-Québec, de 30 à 40 % des 22 000 employés prendront leur retraite d’ici 2015. La société d’État a d’ailleurs mis sur pied un programme spécifique pour assurer le transfert des connaissances.
" Nous allouons des budgets pour qu’une personne qui détient un savoir rare ou unique consacre une partie de sa dernière année à former des successeurs ", explique Andrée Dupéré, conseillère en relève et développement chez Hydro-Québec. Une saine gestion des ressources humaines ne se limite pas à s’assurer que chacun soit heureux au travail, mais que tous soient heureux... ensemble.
Source : Lesaffaires.com Fabrice Tremblay
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